La Frister & Rossmann type E de Simanco33

Ce n'était pas prévu dans mon agenda mais sur ma route j'ai encore trébuché sur une machine qui m'a semblée pleine de charme. Elle était présentée depuis plusieurs jours sur notre site de vente préféré.

La machine m'attendait près de Cocumont (24) dans une magnifique demeure agencée avec un goût exquis par une dame qui avait décoré un gite avec différents jolis objets. Cette dame a des projets d'avenir beaucoup plus au sud. Elle se sépare donc de tous ces objets pour alléger la décoration de la sublime propriété mise à la vente.

Sur LBC elle va bientôt mettre en vente, avec d'autres objets superbes, une autre machine sur pied, une Junker & Ruh, il me semble. Cette machine ferait double emploi chez moi et je ne prendrai pas.

Voici donc ma nouvelle Frister & Rossmann type E (facile, c'est marqué dessus).


La jeune fille qui regarde la machine vient de cette demeure. Elles vont bien ensemble. Je ne les sépare pas.

La machine était exposée à l'air libre depuis un certain temps. Il aura fallu la débarbouiller et l'huiler de nouveau mais c'est bien là le charme de notre activité.


C'est une navette Vibrante F&R de type Singer (VS)… mais avec marche arrière.


Elle dispose d'une manivelle avec maneton en faïence comme beaucoup de machines allemandes de cette époque.

Elle a sa navette et ses fusettes de type Singer VS.


Son numéro, 168089, ne donnera pas de date de fabrication précise mais le type de plaque constructeur va la situer entre 1920 et 1925. A noter le décor "Pharaons" serait raccord avec la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922 mais nous avons vu, par ailleurs, qu'il existait bien des décors Egyptiens avant cette découverte. Il y avait, en effet, un fort engouement pour l'Egypte ancien depuis les campagnes de Bonaparte. La France, L'Angleterre et l'Allemagne faisaient la course aux découvertes (et au pillage). Les Lotus et Pharaons divers faisaient bien vendre.



Dans le petit compartiment du socle quelques accessoires et la clé du couvercle qui est complet mais à recoller.

J'ai, comme d'habitude maintenant, démonté succinctement, nettoyé au pétrole et huilé à l'huile de vaseline pure.




Je ne pousse pas d'avantage la remise en état de la machine. Je la mets juste en état fonctionnel. Comme elle plait beaucoup à madame (qui est venue avec moi l'acheter et qui est tombé sous le charme de la demeure où elle était rangée), je vais voir si je trouve une étagère libre dans le bureau. Elle sera à ce moment là d'avantage lustrée (la machine).


Sur le couvercle du tiroir une adresse : Fitt & SNEATH LDT 7, HIGH ST GRATHAM, le revendeur sûrement. Le nom du représentant F&R en Angleterre, O.QUITMANN  se trouve lui sur la plaque constructeur et permet de dater la machine (voir l'histoire de la marque en fin de post).


Cette machine m'a bien l'air de venir d'Angleterre (après avoir été construite en Allemagne). Elle aura fini par s'installer en aquitaine donc (comme beaucoup d'Anglais, d'ailleurs).


Je fais, comme d'habitude, une photo du bobinoir pour aider à reconnaître d'autres F&R sur les photos parfois floues d'autres sites.

Pascal appréciera la reprise du libellé de la marque en marqueterie  sur le bois du socle. Nous l'avons vu sur d'autres machines. Il serait intéressant de savoir quelle technique était employée pour arriver à faire des lettres aussi finement "pixélisées".



La synchronisation était correcte, j'ai donc fait une fusette et enfilé la machine (comme une Singer 28)


Elle coud parfaitement.

Il y avait aussi dans le tiroir une pochette d'aiguilles d'époque marquée Frister & Rossmann, des 705, des standard Singer 15X1, donc. Elle iront rejoindre ma collection d'aiguilles.


Il y avait un autre trésor : une notice… en Anglais, ofc.


Je la scanne et je la fais suivre à Thierry.

Si j'ai finalement acquis cette machine c'est que j'avais lu, avant, l'histoire de la marque sur l'excellent site :

https://www.fiddlebase.com/frister-rossmann/


Voici une compilation de la traduction :

"Le 1er janvier 1864,   Gustav Rossmann ouve à Markgrafenstraße, Berlin, un petit atelier de fabrication et de réparation de machines à coudre. Au cours de cette année, Gustav Rossmann a rejoint Robert Frister pour former le nouveau  Frister & Rossmann. L'entreprise commence à fabriquer des machines à coudre Wheeler et Wilson…

Au bout d'un millions de machines vendues et de multiples prix obtenus dans  différentes  expositions de la fin du XIX siècle et début XXème, différents postulant demandèrent à représenter la société en Angleterre (Isidor Nasch,  Hermann Loog…)

L'Angleterre ouvrait, en effet, l'énorme marché des colonies de l'Empire.

Il y eut des procès avec la Singer Company (1881)  pour avoir utilisé la référence Singer sur les F&R mais le marché était rentable et la Société F&R est restée présente sur le territoire Anglais.

1886/1887 Accusé de  malversations Hermann Loog est renvoyé et remplacé par   SAMUEL LOEWE en qui devient le seul agent F&R en Angleterre

Il y eut plusieurs déménagements de dépôt chez ces revendeurs. Chacun apposait un badge métallique avec son nom et son adresse sur les machines qu'ils avaient à revendre. Il existe donc différentes plaques sur ces machines selon l'année de dépôt vente.

En 1892 la marque produit des machines à écrire là aussi comme pour les machines à coudre, copies de machines américaines.

En1896 WILLIAM PIERSSENE devient à son tour  l'agent exclusif de  Frister & Rossmann. Nouveau changement d'adresse et nouveau badge sur des machines produites de type "New Family 12"

1899 Première navette Vibrante F&R de type Singer (VS1)

1903 F&R produit plus d'un million de machines à coudre… puis 250 000 de plus en 1908
1914 le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Empire allemand. Il s'ensuit un embargo avec l'Allemagne. Les échanges ne se font plus qu'avec l'Amérique. L'Allemagne riposte contre les navires américains.
1917 L'Amérique entre en guerre contre l'Allemagne.
1918 fin de la guerre mais pas d'échanges commerciaux jusqu'en 1920 pendant la négociation sur les dédommagements de guerre.
1920 les Frister & Rossmann peuvent à nouveau exporter les machines à coudre qui sont alors  importées en Angleterre par le nouvel agent exclusif  O.QUITMANN,  avec des bureaux au  18 CITY ROAD, à Londres.
La machine présentée sur ce post est de cette époque et porte la marque et l'adresse de Quitmann.

La date de la machine est donc comprise entre 1920 et 1925.

En 1925 la marque est reprise par Gritzner, dissolution de la société en 1929.

On retrouve dans cette histoire (à lire au complet sur le site) le cheminement de toutes ces anciennes machines à coudre allemandes qui nous entourent. Elles ont été faites lors d'une époque de mutation industrielle et géopolitique où la concurrence était rude. Les allemands avaient choisi la stratégie de refaire en mieux ce qui avait fait ses preuves ailleurs et n'hésitaient pas se fondre dans le paysage pour vendre leurs produits de qualité pour finalement devenir leaders de leur production. L'Asie a fait de même plus tard, la méthode a fait ses preuves mais sûrement avec une qualité moindre.

Encore un joli compte rendu de ta part


Entre nous je préfère ce revendeur

https://lamachineacoudre.forumactif.org/t2376-frister-rossmann-restauration

Pascal le dob a écrit:


La plaque  reposée




Je mettrai le E à la fin, je ne veux pas être perturbé

Encore un petit oubli de ma part

C'est leur machine à écrire des "pixels" en bois qu'il faudrait trouver.

Le socle marqueté aussi tu le fais au "M. Propre"? (tout est expliqué sur ton post)

Très jolie machine mise en valeur non seulement par les superbes photos mais aussi par la narration très intéressante d'une partie de son histoire... merci Simanco !

Simanco33 a écrit:Je la scanne et je la fais suivre à Thierry.

Bien, mais tu ne l'as pas envoyé sur l'adresse mail habituelle, du coup j'ai pensé de l'hameçonnage et j'ai tout passé à l'antivirus avant d'ouvrir.

... et il y avait?... j'attends pour mon troisième vaccin, ce serait ballot... J'adore ces notices avec les gravures "d'époque". Celle-ci il était temps de la scanner... elle se désagrège. Je l'ai rangée entre des feuilles buvard mais le mal est fait. Elle aura tenu presque un siècle.

Il existe du papier pour restauration, en contrecollage. Ce sont des papiers fins (très fin !!)
Je n'ai jamais essayé. Je sais juste que ça existe.

Il était une fois, une jolie machine à coudre enfermée en haut de la plus haute tour d'un château mystérieux. Elle attendait le preux chevalier Simanco pour la délivrer de la rouille et de l'ennui... etc...

J'aime tellement lire ces belles histoires ! Avec des images, en plus !

En fait, dans les contes de Perrault, Grimm, Andersen et compagnie, le prince charmant serait donc toujours le même, et il se constituerait un harem ?

Oui, dans un grand hangar !

Fumée noire (2 en plus )

Rien n'est encore décidé, le pape n'est pas encore élu

Ton histoire là c'est Shrek avec le "soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie" et tout...

Le papier de restauration se pose en "marouflage"?... Je vais chercher, j'ai d'autres documents à consolider.

Et la machina qui cousoit ?

Pour le papier de restauration, oui ça semble être mis en œuvre par encollage.
J'avais vu un documentaire sur les réparations pour les manques : https://www.arte.tv/fr/videos/084701-014-A/xenius-livres-en-peril/
C'est passionnant

Super cette vidéo ! merci Vincent !

Si j'ai bien compris Frister et Rossmann ont fabriqué des machines sur le modèle américain Wheeler et Wilson? Et plus tard ont repris une technique de Singer ? Ils ont juste fait des copies ou ils ont changé des choses par rapport aux modèles de départ qu'ils ont copié?

Ils fabriquaient sur brevet mais souvent ils apportaient des amélioration pour se démarquer du modèle d'origine et attirer le client potentiel. Le marché était tellement vaste, à cette époque, que les marques d'origine  fournissaient suffisamment pour être prêtes céder des droits de leur brevets, contre rémunération. 

Il est à remarquer que, pour cela, les allemands n'étaient pas résolus à innover systématiquement. Ils préféraient payer le brevet de ce qui fonctionnait bien et ensuite bien fabriquer quitte à l'améliorer un peu. Ils avaient un peu de retard au départ mais ils l'ont bien rattrapé par la suite. 

Cela a permis aussi de maintenir en Allemagne un potentiel industriel au moment où il leur était interdit tout effort de guerre. Ils ont également contourné le "blocus " commercial" de l'entre deux guerres en n'hésitant pas à laisser écouler leur production sous des noms de label "adaptés" au pays acheteur au travers un réseau de "revendeurs" (Frister & Rossmann en Angleterre). 

Cette façon de fabriquer, au travers des copies de l'existant, me fait un peu penser à la méthode chinoise actuelle : copie, amélioration, innovation, pénétration du marché... monopole.

Merci pour ces informations. Ça permet de mieux comprendre comment fonctionnaient ces entreprises à l'époque.
Oui ça me fait aussi penser à la méthode chinoise actuelle.