Une "New England" (type Charles Raymond) de Simanco33

La machine avait appartenu à Adam, qui lui-même la tenait d'on ne sait plus quel parent. En 1870 la période était trouble (ici et là bas), comment savoir, si longtemps après, qui avait fait quoi?

C'est le petit-fils qui me l'avait confiée, sous le regard confiant de la maman, pour que le bibelot puisse vivre un repos bien mérité au milieu d'autres machines de la même époque.

Je connaissais cette machine de vue car j'avais déjà croisé ses formes sur le forum. Pascal s'y était déjà frotté. Sewing en avait parlé. MarieH avait évoqué l'épopée compliquée de ce Charles Raymond dont on ne sait pas très bien s'il était canadien ou américain… (Je ne serais pas étonné d'apprendre que ses ancêtres furent un jour également un peu gaulois!)

Ce Charles avait fait, à l'origine, une jolie première petite machine de voyage à "point chaînette" qui fut un beau succès. Son "complice" anglais les avait aussi fabriquées sous le nom de Weir (1870). Les américains, bien sûr, avaient  fabriqué la leur (Johnson 1875). Même Vigneron, en France, avait fait un modèle sous licence. Daydric du forum en a montré une. ("La favorite de ces dames"… les cow-boys américains ne l'auraient jamais acheté avec cette désignation!).

La mienne n'a pas de nom, pas de numéro, une vraie machine de contrebande. Comme ses engrenages sont droit on peut la dater entre 1870 et 1880, après, les engrenages furent "de biais" (mais droits) puis hélicoïdaux. Ce peut être aussi une copie plus tardive, tant de gens ont fait "des copies et des clones".

Sur les pages du spécialiste "Alex Askaroff", il est dit qu'il serait impossible, sans éléments précis, de donner la paternité d'une de ces petites machines. Elle aura été souvent reproduite par différents pays et sous différentes marques (et même souvent pas de marque).

Dans le doute on peut les appeler "machines de type New England".

On trouve souvent sur les sites de ventes la dénomination "une petite machine Charles Raymond" même si ce n'est pas une originale. Les "vrais" ont un raton laveur comme logo et sont fabriquées au Canada (Guelph Ontario Canada), les premières en 1858.

Toutes sont pourtant belles et en tout cas, intéressantes à faire fonctionner pour un collectionneur.
Comme "bibelot" j'aurais pu la laisser telle quelle. Elle était suffisamment jolie comme çà. Mais même si la manivelle "tournait" un peu elle bloquait et surtout, elle ne cousait pas!

J'ai donc démonté succinctement, nettoyé au pétrole, frotté juste pour enlever "son jus" (elle m'avait été donnée justement "dans son jus"). C'est ce "jus" qui lui donnait cette belle patine. Les engrenages semblaient être de bronze… ils ne l'étaient pas! Pour autant, je n'ai pas enlevé une once de métal. Une "épiderme" de 150 ans, je respecte… et en plus ça m'arrange!

J'ai nettoyé mais pas démonté la platine crochet. Cette pièce est délicate. J'ai vu lors de mes premiers essais de couture que tout se jouait là. Démonter plus loin ajouterait du jeu aux jeux et cela compliquerait l'affaire!

J'ai fait une première synchronisation du crochet avec l'aiguille montée (en 15X1).


Même nettoyée d'autres point m'intriguaient. A quoi pouvait bien servir cette molette contre le guide de barre d'aiguille montée par deux vis?

Après avoir retourné toute l'affaire et regardé beaucoup de sites Internet, j'en ai déduit que :

1/ sert à relever le pied de biche.
2/ sert à régler la pression du ressort qui presse le pied de biche (lu sur le "spécialiste Internet" mais je ne suis pas convaincu).
3/ sert à régler la longueur du point (normalement une molette plus large sur les machine d'origine).
4/ sert à régler la position du crochet, latéralement pour ajuster l'affleurement de l'aiguille, en rotation pour donner au crochet un angle d'attaque correct.
5/ est un système original qui permet de produire, grâce à un petit galet libre en rotation,  un blocage du fil au niveau du guide fixé sur la barre d'aiguille, fil qui aura fait un tour mort autour de ce guide. Le mieux est de regarder la vidéo qui suit.
6/ emplacement pour fixer l'aiguille.
7/ sert à porter la bobine de fil. Comme je n'ai pas le support (si joli, en bronze avec ses deux cônes pour régler la pression)  il faudra fabriquer un système… plus simple pour pouvoir faire coudre dans l'immédiat.
8/ Un guide en laiton pour coudre "droit". J'ai vu sur une photo du forum cette pièce montée dans l'autre sens (?).

J'avais fait, comme d'habitude, toute une série de photos lors du démontage (et avant le nettoyage). Elles m'auront permis, entre autre, de comprendre comment fonctionne le système de réglage de la longueur de point.



Je ne sais pas comment étaient préparées les bobines sur les machines d'origine mais j'ai toujours avec moi le bobineur Villeneuvois qui mes sert dans ces occasions… Il est raccord!

Ce n'est pas "la chose" mais ma "petite main" qui sert à visualiser la méthode (il ne faut pas regarder le doigt mais le fil!)…

J'avais, bien sûr, monté en premier la bobine dans l'autre sens de déroulement… il ne faut pas!


Voici le passage du fil à cet endroit. Le fil descend direct de la bobine, fait un tour mort sur le guide fixé sur la barre d'aiguille (qui devra être bien propre et sans aspérités), traverse la passe-fil et va directement vers l'aiguille et s'enfile de gauche à droit (longue rainure d'aiguille à gauche). A ce niveau si on tire le fil vers le bas il glisse bien, juste freiné par le ressort du support de bobine de fil.



Quand la barre d'aiguille descend elle rencontre la molette fixée par deux petites vis.


Cette molette, bien nettoyée, doit tourner et juste faire une pression sur le fil qui aura fait son tour mort autour du guide de barre d'aiguille.

Cette pression de molette, réglée par la position des deux vis, participe à la retenue du fil qui va être évoquée un peu plus bas, dans cette page. Elle est le "secret" de fonctionnement de ce système!

J'ai essayé pour moi (mais je partage) de me représenter le fonctionnement de  ce crochet



C'est cette partie là qui m'aura "bloqué" un long moment.

J'avais à l'origine utilisé une aiguille 15X1 comme celle qui était montée sur la machine… Le crochet prenait bien la boucle mais le point ne se faisait pas.

Les vidéos sur Internet semblaient correspondre à mon montage.

Il était pourtant indiqué que les aiguilles qui devaient remplacer les aiguilles d'origine, qui ne se font plus, seraient des 135X5. J'ai commandé. Puis j'ai compris!

Les aiguilles 15X1 ont très peu de longueur au-delà du chas. Le crochet "lâche " le fil avant que la pointe ait traversé la boucle de fil du crochet!

Il faut des aiguilles de même longueur que les 15X1 mais avec plus de longueur de pointe.

J'ai cherché et j'ai pensé aux "29X3" de ma 29K. Elles font 44 mm de longueur mais j'ai taillé à 38 mm avec ma Dremel puis j'ai essayé.


Là, la pointe traverse bien la boucle de fil du crochet!


L'aiguille continue à descendre vers le point mort bas mais la boucle, libérée par le crochet et entourant l'aiguille, est partie vers le haut pour faire son point avec le "fil descendant" (dédoublé) au milieu de la boucle.


Une fois que l'aiguille est passée par le point mort bas, elle remonte et présente sa nouvelle boucle de fil d'aiguille pour que le crochet puisse recommencer un cycle.


Cela rappelle les quatre principales dimensions qui doivent être considérées pour déterminer le choix d'une aiguille : longueur talon / chas, diamètre et forme du talon, taille du fût d'aiguille et… comme dans ce cas, longueur du chas à la pointe! (un cinquième élément serait le type de pointe)

Mon aiguille bricolée a cousu!


J'ai fait une vidéo pour mes archives.


Au début j'avais utilisé un tissu noir pour mieux voir le fil blanc. Le tissu était doublé de "plastique". Il était tout recroquevillé par les points. J'ai refait une bobine en noir avec du fil plus gros qui correspondait mieux à la taille de mon aiguille bricolée.

A noter que mon premier fil très fin, qui ne craint si UV ni sel de mer, à produit lors de mes premiers essais un magnifique point "microscopique"!



Voilà donc ma dernière machine de voyage qui va rejoindre ses comparses de la même époque.

J'ai bricolé vite fait ce support en bois mais je le trouve sobre et très pratique car il a la taille exacte de "ma brique" de plastique gris pour le "yoga". Pour bricoler mes réglages il aura été parfait.



Une vue sous les dessous de la belle.



J'ai placé la machine, décalée de cette façon sur sa plaque de bois, pour pouvoir éventuellement la faire fonctionner au pédalier. Je pensais surtout à la petite table de la Muller 16, bien que cette dernière soit un jouet et que cette "New England" soit une machine de voyage.

Justement si on veut comparer à d'autres machines de voyage, la "New England" fait, environ, 3 KG 600…


La Willcox & Gibbs (ce modèle-ci, avec une manivelle annexe, peut s'envisager être utilisée comme machine de voyage) : 4Kg 500


La Bremer&Bruckmann : 3KG 400 (elle a un lourd socle en fonte)


Ce sont, les trois, des "points chaînette". Chaque modèle a son originalité. Ce sont des machines simples mais leur système de crochet est toujours très bien étudié et doit être parfaitement ajusté pour fonctionner "éternellement"!


Cette "New England" de type Charles Raymond ne démérite pas au milieu des deux autres. Elle m'aura apporté un immense plaisir qui aura accompagné mes efforts pour essayer de la comprendre et de la faire fonctionner… 150 ans après sa fabrication!

A midi, sur la "cinq", une petite synchronicité (très égocentrée je le concède), une image du tableau de Fritz von Uhde :

(Fritz von Uhde. "Jeune fille à la fenêtre" 1890 Städelmuseum Frankfur)
On y voit une Willcox & Gibbs, comme évoqué plus haut, en usage familial avec sa manivelle. Dans cette scène, vu l'ampleur des travaux à fournir, on voit bien que ces machines répondaient à un usage réel malgré leurs petites dimensions.

Il ne me reste plus qu'à trouver une peinture où on aura su donner un second rôle représentatif à notre Charles Raymond...

Magnifique petite machine et magnifique compte-rendu de son retour à la vie active !!
Bravo Simanco et merci pour ce partage !

Il fallait trouver l'aiguille qui va bien !!! J'ai bien aimé la vidéo.

Ils vont me livrer les bonnes aiguilles. La surprise serait que la pointe soit normale et que la différence soit ailleurs.

En tout cas, je pense qu'il faut une longueur minimum entre le chas et la pointe pour que le système fonctionne. Les aiguilles "29X3" des Singer 29K ont cette particularité car il faut que l'aiguille, qui traverse le bras libre de la "29K", passe un perçage en bout de course et bloque, sans plier, le tissu pour laisser le pied qui fait l'entrainement du tissu, reculer sans entrainer l'ouvrage dans le mauvais sens.

Dans le cas des Singer classe "200" et "300", c'est le contraire. Il faut que la pointe soit plus courte pour ne pas percuter le boîtier de canette en position zigzag.

Au bout de quelques dizaines de machines ont finit par se faire une idée de la complexité de ce qui est, surement, la plus vieille invention "technologique" de l'homme : l'aiguille. (Si on se refuse, bien sûr, de voir en la massue un objet technologique)

Simanco, je suis impressionné par tes connaissance

Ah bon?... et bien moi ce qui m'impressionne, c'est de constater, chaque fois que j'apprends quelque chose, l'étendue de mes lacunes... et j'apprends tous les jours! La seule chose que je pensais impressionner ce sont mes tortues et encore, pas toutes!

il me reste un long chemin pour tout comprendre de ces mécaniques

Je viens de visionner la vidéo que je n'avais pas eu le temps de voir en début d'am, le système de bobine sur le devant et cette lame qui monte et descend est original mais me fait l'effet d'une guillotine

Un masque africain!


C'est le poids de la barre d'aiguille, avec en plus son système de de bobine de fil par dessus, qui donne de la force à l'aiguille... un vrai "pilon"!

Comme cette barre joue également de rôle de la came qui transforme le mouvement circulaire en mouvement linéaire alternatif le poids global de la machine reste minimum pour un effet maximum... c'est malin! C'est une championne du rendement!

une 100 points/minute ?

Je pensais au rendement énergétique... la "gravité", là, est mise à contribution et c'est de l'énergie "gratuite" épargnée à nos centrales. Le bilan carbone est minimisé!

Je serais curieux de savoir si la moyenne globale de la production des machines familiales arrive à 100 points par mois, voire par année? Tant de machines "d'apparat" offertes en cadeau ont finies dans un fond d'armoire sans jamais avoir cousu ou presque.

Nos anciennes auront beaucoup cousu au cours des premières décennies après fabrication. Maintenant qu'elles sont sur nos étagères, plus d'un siècle après, on comprend bien que la production a due être moindre depuis, au moins, un demi-siècle, voire plus.

C'est la raison qui me pousse à batailler pour leur faire coudre quelques centimètres linéaires. C'est un peu comme du spiritisme!... "Esprit de la machine es-tu là?... Si oui, coud un coup!"...

on dirait que le patron montre la même au musée de Bordeaux
https://www.youtube.com/watch?v=qXzL-jdrnNk

Ah... le cas Nonet!... J'avais visité son atelier Musée il y a quelques années... Magnifique!... Il avait bien sûr, je vois (je revois) maintenant, une Charles Raymond mais les machines intéressantes, ils les avait "presque toutes"! (Tu as vu la "Journaux", Parisienne?)

Je me demande ce qu'il devient? J'aurais tant aimé m'en faire un ami... mais ce ne fut pas possible. J'ai du faire effacer le post si gentil que j'avais fait sur lui après ma visite. Il a cru que j'étais "Bill Gates" et que je pouvais effacer tout ce qu'il y avait sur lui sur Internet.

Le jour de ma visite j'ai pu voir, dans un même endroit, toutes les machines dont rêvent les collectionneurs, toutes en parfait état de fonctionnement! Je me demande ce que devient sa collection?

J'ai remarqué, au détour d'une présentation, l'utilité déjà évoquée du support que l'on voit, parfois, sur les machines anciennes.

Lumineux, non?

C'est dommage que tous nos savoir faire disparaissent faute de repreneurs.....

une page s'est tournée

J'ai remis la main sur la mienne
Je ne me souvenais plus que c'&tait aussi petit : 25cm de large
elle a la tige de tension de la bobine et son aiguille

Tu vas nous montrer çà! (avant que la page soit tournée)

La tige de porte bobine, en effet, manque sur la mienne mais celle que j'ai bricolée fonctionne bien.  Si j'en trouve une, le risque (ou la chance) qu'elle soit portée par une machine en meilleur état est probable. Sur mon étagère cela ne se voit pas. Je l'ai constamment sous les yeux et cela me met en joie.

(Pour l'installer, j'ai du sortir la Singer 221K que je trouve pourtant magnifique. Entourée de "plus que centenaires" elle devenait un peu anachronique. Elle est donc retournée dans sa boîte... je la tapoterai de temps en temps)

Le jour où je gagnerai au Loto, j'achèterai une grange en pierre apparente et ferai des étagères en chêne "plus dur que le cœur des pierres" puis j’installerai toutes mes machines et assis sur mon fauteuil "Club", je les contemplerai!... dans le meilleur des cas!

Tu oublies l'énorme écran au milieu des étagères pour la projection de tes vidéos

photo de ma machine enfant Raymond de 3.2 kilos
une avant, une après restauration : inutiles, je ne rentre que du beau :. Un coup de chiffon a suffit.

Oui, bien sûr, une "vraie" avec une petite bête à poil! Je m’aperçois que le porte bobine doit pouvoir se monter dans les deux sens, là, ça crève les yeux!

Seppi, notre époque nous a appris à nous conformer de petits écrans qui tiennent dans la main, si indispensables dans nos métros ou tramways!... Que sont devenues nos soirées diapos?... comment çà "c'est quoi une soirée diapo"?

J'ai vu le levier de releveur de pied
1 tour de manivelle = 2 points
120 points minute pour faire de petits mouchoirs

Cela ferait, environ, du 300 points minute! Sur ses vidéos Askaroff doit faire du 400 Pts/mn! Moi je ne dépasse pas le 80... jamais!

Un beau reportage pour une magnifique petite mac , et j'ai sans doute sa petite sœur qui pose également à côté d'une willcox .J'avais avec son paquetage , un paquet d'aiguilles mais très rouillées, j'ai mis des 15x5 comme j'avais lu je ne sais plus où, et le point n'allait pas du tout . Sous binoculaire j'ai nettoyé une aiguille et ma petite mac à  repris vie .
L'aiguille de gauche est dans le paquet d'origine ,  il a une grande différence de taille  du chas à la pointe .

dimension de l'aiguille :                                                                                            
Longueur Talon pointe 40,1mm, diamètre du talon 1,9mm , hauteur du talon 13,1mm , bas du chas à la pointe 4mm

En effet, cela semble confirmer l'importance de cette longueur de pointe présente dans la boîte d'origine.

Il est marqué quoi comme dénominationsur cette boîte? A la loupe on ne lit rien sur la bonne aiguille?

J'ai commandé des 135X5 comme conseillé par Alex Askaroff.

Voilà un bout d'image de son site admirablement traduit par YouTube (la traduction reste pratique en tout cas).

Je verrai à la livraison des 135X5 mais peut-être ai-je commandé trop vite. Autrement mes 29X3, retaillées à 38 mm, iront très bien!... je dirai!